Le plaisir esthétique reste un plaisir libidinal d’abord, qui provient du contenu même de l’œuvre. Un plaisir procuré par la forme qui s’offre à la perception, non comme objet réel mais comme objet intermédiaire à propos du quel sont autorisées des conduites et des pensées dont le sujet n’aura pas à rendre compte.
Cette fonction de détournement par rapport à la réalité que l’on pourrait appeler séduction. Écran plastique comme un support transparent derrière lequel se déroule une scène inaccessible. « Tout tableau est piège au regard » dit Lacan, ce que je regarde n’est jamais ce que je veux voir, un paysage au-delà de quoi on demande à voir, un paysage où je sublime mes conflits, je les symbolise.
Dans cette abstraction, il y a deux caractères, le premier caractère est négatif : est abstrait ce qui est dépourvu de toute réalité, ce qui donne une impression d’irréalité. Le second caractère est positif : abstraire c’est extraire l’essentiel de l’accessoire, s’abstraire c’est prendre de la distance à l’égard d’une réalité trop prenante. En ce sens, l’abstraction est l’acte même que produit toute pensée, puisque penser c’est aller à l’essentiel en prenant du recul par rapport aux chose afin d’en saisir la véritable teneur.